Le coeur de l’Angleterre de Jonathan Coe

Le coeur de l’Angleterre de Jonathan Coe

Le coeur de l’Angleterre ou Le Petit précis du Brexit: causes, conséquences et petits tourments britanniques d’un pays en passe de quitter l’Europe.

Si vous avez lu Bienvenue au Club et Le cercle fermé, la famille Trotter ne vous est pas totalement inconnue, et surtout pas leurs enfants. Il y a Benjamin, l’éternel indécis, toujours la tête dans la musique et ses nuages et Lois, traumatisée par un attentat dans un pub en 1974 à Birmingham. Vous avez certainement entendu parler de Birmingham, l’industrieuse et industrielle ville des Midlands, coeur de l’Angleterre, à deux heures et demie de route de Londres et deuxième ville du pays. À une heure et demie d’Oxford, lieu d’études de Benjamin et ses copains, ville figée dans le temps et l’enseignement élitiste typiquement britannique.

Le roman démarre en avril 2010, avec la mort de Sheila Trotter. Benjamin s’est acheté un moulin sur les rives de la Severn, Gordon Brown est sur le point de démissionner et David Cameron de devenir premier ministre. Lois s’enlise dans un mariage qui n’a jamais été d’amour et Doug vit dans les beaux quartiers londoniens avec une famille qui l’ignore, délibérément, ou pas. Sophie la fille de Lois et nièce de Benjamin multiplie les conquêtes et s’apprête à débuter une carrière d’universitaire.

Coe met tout en place tous les rouages pour suivre les grandes étapes du Brexit. Et n’omet aucun grands événements des années 2010. Les émeutes londoniennes d’août 2011 qui dénoncent le ras de bol face à la politique d’austérité du gouvernement britannique qui a suivi la crise économique de 2008 et à l’augmentation du racisme au quotidien. En juillet 2012, on suit la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques londoniens à bord du canapé de nos protagonistes préférés. L’essence de la culture british déborde de la télévision et même les personnages les plus snobs s’accordent à trouver cette célébration de l’histoire britannique géniale. Vous vous en souvenez de cette cérémonie? Daniel Craig et la reine d’Angleterre, ça ne vous dit rien?

En avril 2015, le Parti Conservateur lance son manifeste en vue des législatives à venir et Cameroun propose un referendum pour ou contre l’Europe d’ici à la fin 2017. À partir de la, la machine s’accélère. Benjamin, sa famille et ses amis vont s’interroger sur le rôle de leur pays dans cette union si décriée. Sur la place des étrangers au Royaume- Uni, la possibilité de déménager en France, de voyager avec un passeport européen. Et puis, dit-on Brexit ou Brixit?

Jusqu’à juin 2016, les gens vont s’écharper à propos du Brexit et cela jusqu’à affecter le couple formé par Sophie et son mari, les rapports de ce dernier avec sa mère, raciste jusqu’au bout et l’assumant complètement ( le gouvernement publie le nombre de migrants accueilli en 2016 – 300 000- précipitant les votes populistes en faveur de la sortie de l’union). Benjamin s’aperçoit effaré que son père a voté Leave, ce père effaré par la modernisation de sa ville et la disparition des grandes industries automobiles qui avaient fait la gloire de Birmingham. L’assassinat de Jo Cox viendra assombrir le quotidien difficile de de Lois pour enfin la sortir de sa torpeur.

Le 23 juin 2016, 51,89 % de britanniques votent Leave amorçant une débâcle dont nous ne sommes pas encore sortis. Cameroun démissionne en juillet et Theresa May prend le relais, avec les conséquences que vous connaissez aujourd’hui. Par conséquences, je veux dire Boris Johnson que Coe a bien cerné depuis le début. Compagnon d’Oxford de Benjamin Trotter, celui-ci est mentionné à plusieurs reprises. Membre de l’élite, qui n’accorde son regard et sa parole qu’aux siens, c’est désormais lui qui a hérité du bébé, du dossier épineux. Est- ce le bon homme? Pour Jonathan Coe, non! Et pour moi aussi!

Heureusement, les membres du Club fermé, eux, sont au clair avec l’Europe.

Le coeur de l’Angleterre, c’est l’Angleterre à l’état pur. Coe a réussi à instiller dans ce roman six années de british attitude. Les anglais sont réservés quant aux choix politiques de leurs dirigeants et c’est pour cela que tout va droit dans le mur. Le racisme et la xénophobie sont tus mais éclatent au grand jour lors des émeutes et des premières mentions du Brexit. Les anglais sont aimantés par Londres et la modernité. D’ailleurs, Birmingham n’y échappe pas, les traces de son passé industriels disparaissent au profit des Decathlon et de supermarchés en tous genres. L’aristocratie et la bourgeoisie londonienne sont au coeur du pouvoir et écartèlent la société en deux classes totalement opposées. Il y a les émigrés, les ouvriers et les laissés pour compte d’un côté et l’élite qui fréquente Eton, Cambridge et Londres. Entre les deux, le dialogue est impossible et leurs existences sont aux antipodes. Que connaissent Johnson et ses pairs de la vie d’un ouvrier des années soixante-dix ou d’un migrant afghan des années 2010? La réconciliation des Jeux-Olympiques n’était q’un leurre.

Extrait:

« Un couple peut décider de se séparer pour toutes sortes de raisons: l’adultère, la cruauté, la violence domestique, le manque de vie sexuelle. Mais une divergence d’opinions sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Europe? La chose paraissait absurde. Mais elle l’était. Et pourtant, au fond d’elle même, Sophie savait que ce n’était pas tant une raison qu’un point de bascule. Elle trouvait que Ian avait réagi si bizarrement à l’issue du referendum par un triomphalisme si infantile, avec une espèce de joie mauvaise (il ne cessait de répéter le mot « liberté » comme s’il était le citoyen d’un minuscule État africain qui aurait enfin arraché son indépendance à l’oppresseur colonial) que, pour la première fois, elle réalisait clairement qu’elle n’entendait plus rien aux idées et aux sentiments qui étaient les siens. En même temps, ce matin-là, l’impression s’était aussitôt imposée à elle qu’une partie minime mais significative de sa propre identité, cette identité moderne, stratifiée, multiple, lui était retirée. »


Laisser un commentaire

%d blogueurs aiment cette page :