Slade House de David Mitchell


J’ai découvert David Mitchell en 2007 lors de la sortie de sa Cartographie des nuages. J’avais dévoré ce mélange de fantastique, dystopie, enquête policière, science-fiction et roman futuriste. Un véritable OVNI m’était tombé dans les mains. J’ai donc lu ses Écrits fantômes et toutes les parutions qui ont suivies. Quand je referme ses livres, j’ai l’impression d’avoir touché ou du moins effleuré quelque chose qui se rapproche du génie. Il y a une maîtrise et un approfondissement de ses sujets et personnages qui manquent parfois terriblement dans les livres. Du coup, quand on finit un de ses romans, nous ne sommes pas déçus d’avoir fini un livre incomplet mais seulement de terminer quelque chose qui rime avec perfection.

Et évidemment, Slade House ne déroge pas à la règle.

Dans son dernier roman Mitchell aborde un pan de ce qu’il avait déjà un peu dépeint dans L’âme des horloges (que je suis en train de terminer). L’âme et l’immortalité. C’est beau, mystérieux et terrifiant.

Extrait.

« Norah marmonne: »Prête, je le suis toujours. » Et les jumeaux se mettent à tracer des symboles dans le vide. Ils récitent quelque chose aussi, une incantation dans une langue que je ne connais pas, et alors quelque chose apparaît au dessus de la flamme de la bougie, à hauteur de tête: on croirait voir flotter une tuméfaction, une masse dont le centre rougeoie et palpite, une sorte de coeur aussi gros que le cerveau. Des vers, des racines ou des veines en jaillissent comme des serpents. Certains vont en direction des jumeaux, d’autres dans la mienne, et j’ai beau chercher à reculer la tête, à les repousser de la main, à hurler, fermer les yeux, ces petits doigts minuscules et effilés pénètrent par ma bouche, mes oreilles, mes narines, et se mettent à me triturer de m’intérieur. La douleur me transperce le front, et à cet endroit dans mon reflet dans mon reflet sur le miroir, je vois une tache noire… Ce n’est pas du sang. Plusieurs secondes passent. Quelque chose s’écoule et flotte dans le vide, un truc de la taille et de la forme d’une balle de golf, là devant les yeux. C’est presque transparent, comme du gel ou du blanc d’oeuf, et il y a dedans des paillettes, des galaxies, des…

Bon Dieu, c’est magnifique.

C’est fou comme ça brille.

Ce truc est vivant, c’est à moi… »

Avec Slade House, David Mitchell a su me happer, me stresser, me terrifier, me perdre, me faire espérer. Je suis passée par toutes les émotions des personnages. L’admiration et l’ahurissement à la vue de la maison magnifique, de la grande demeure bourgeoise au jardin anglais, ses pièces labyrinthiques, son grenier affreux et mystérieux. Ses jumeaux Jonah et Norah m’ont intriguée, fait trembler et révulser par leurs destins et leur quêtes. Et j’ai fini par avoir pitié par ces pauvres hères qui se sont font happer années après années par la maison et ses funestes occupants.

Les illusions créées à chaque fois par les jumeaux arrivent à tromper le lecteur et cette mise en abyme est tout simplement délicieuse. Arriver à nous tromper comme les personnages, c’est quand même un coup de génie. Souvent, on a un peu de hauteur en tant que lecteur, voir de la condescendance quand on voit les personnages tomber dans le panneau, mais là bon sang, même LE LECTEUR se fait avoir. Ce n’est pas pour rien que le New Yorker a écrit ces mots sur l’auteur: « C’est l’un des seuls écrivains dont le don pour l’artifice est proprement surnaturel. »

Oui, je suis d’accord il s’agit bien d’un don.

Sur ces derniers mots, je vous laisse, je dois aller terminer L’âme des horloges.


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