Knausgaard, c’est l’auteur du livre qui a marqué mes dernières années de lectrice. C’est aussi l’auteur du livre que j’aurais voulu écrire. Ou plutôt des livres. Car il est à la tête d’une entreprise gigantesque, une autobiographie, qui s’appelle Mon combat. L’oeuvre doit compter six tomes, il vient de publier le cinquième, Comme il pleut sur la ville. La ville c’est Bergen, en Norvège. Il pleut, c’est humide et sombre, mais c’est le théâtre des espérances de Karl Ove et de ses errances paumées.
Le point de départ de ces six tomes, c’est La mort d’un père. Et ça donne le ton des livres à venir. Le père, homme froid, méprisant et alcoolique va le hanter dans sa vie d’homme, d’enfant, d’adolescent, d’écrivain, de mari et de père évidemment. Chaque tome vise un pan de son existence, de son plus jeune âge à son entrée dans l’âge adulte, sa vie d’amant et de père, sa volonté de devenir écrivain et ses premières amours, avec toujours l’ombre de cet homme horrible qui plane sur ses réussites et ses échecs. Car même s’il le déteste viscéralement, Karl Ove ne désire que son approbation.
Dans ce dernier tome, le père est plus absent, jusqu’à ce qu’il meurt, encore une fois. Ce sont les mots de Knausgaard sur Karl Ove, l’écrivain et son expérience à l’Académie d’Écriture à Bergen, où il entre à à peine vingt ans et qu’il vivra comme un échec cuisant et inutile. Le livre sur l’étudiant aussi. Qui découvre Bergen, les vieux appartements insalubres, les beuveries où il pique des vélos, se fait arrêter par la police et envoyer en cellule de dégrisement, se taillade le visage et foire tout auprès de ceux qu’il aime. L’étudiant voit tout le monde réussir autour de lui, et lui se planter encore et encore. Alors il ressasse, revient sur ce q’il a dit, ce qu’ il a bu, ce qu’il a raté et les textes pourris tapés en une heure avant de présenter le tout à une assemblée d’écrivaillons goguenarde et méprisante. Et de ruminer encore, ce qu’il a dit, écrit, ses sentiments, les réactions des autres.
C’est aussi l’analyse de l’amour , des premières expériences, des adultères, des premiers échecs, des premiers deuils. Et ça avec un style, mais quel style! Froid, direct, pur.
Un style glacé, mais entier, complet, qui énumère, les auteurs inspirants, les expériences, ses sentiments, ses réactions. On se pose mille questions. Comment a-t-il fait pour se rappeler le moindre de ses actes, de ses gestes? A-t-il relu des journaux intimes? Quelle est la part de fiction? Est-ce une expérience sociologique et psychologique d’un nouveau genre? Au fond, on s’en fout un peu de savoir comment le génie fait. Il écrit, c’est tout, et c’est viscéral, cru, ça explose au visage tous ces sentiments humains, car on se reconnaît dans ses hontes, ses questionnements amoureux de jeune adulte, dans ses balbutiements d’écrivains mais aussi dans sa quête d’approbation: celle de son frère, de ses amis, de ses profs….
J’adore ses discussions, ses digressions sur les auteurs, le récit de ses errances amoureuses, lorsqu’il repart de chez la nana qu’il convoite et avec qui il s’est comporté comme un con fini sans jamais rien tenter. Que c’est bon à lire!
« Je fermai mon carnet et commençai la lecture d’Ulverton, d’Adam Thorpe. Traduit par Svein Jarvoll, le livre raconte l’histoire d’un village fictif de la campagne anglaise, et chaque chapitre se déroulait à une époque différente, le premier au XVIIème siècle, et le dernier à notre époque. Les chapitres avaient des formes et des dialectes différents(…)
Le temps traversait le roman en tourbillonnant dans la vie des gens. L’aspiration qui s’en dégageait était énorme.
Peut-être que cela m’attirait-il parce que j’avais grandi dans un lieu qui n’était fait que de présent, et le passé quelque chose qu’on trouvait dans les livres?
Je m’achetai une bière, notai XVIIème siècle dans mon carnet, regardai l’heure, il était bientôt minuit, je bus mon verre et allai me couchai. »
Extrait du livre Comme il pleut sur la ville de Karl Ove Knausgaard

Karl Ove Knausgaard couche mes expériences et mes pensées, ça me soulage de voir que je ne suis pas la seule à analyser sans cesse mes actes, mes paroles, mes espoirs et mes échecs. Ma vie de mère, d’amoureuse, de prof, d’écrivain. Il couche l’humain sur le papier et fait revivre l’humanité et la réalité chez l’écrivain. Ça n’était pas arrivé depuis longtemps.